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La micro-échelle ou l’échelle archéologique pour une méthode d’enquête en anthropologie urbaine
Séminaire Observatoire Grand Paris, le 28 janvier 2010

2016-05-01T06:07:41Z

Horaire : 28 janvier 2010
Organisateurs : Barbara Morovich

La pluridisciplinarité des champs d’action, l’aspect concret d’un travail de terrain, l’absence de jugement esthétique, ou l’intérêt pour l’objet d’étude en tant que révélateur de processus… sont autant de similitudes entre les disciplines de l’anthropologie et de l’archéologie. Cependant des différences notables existent. Ainsi, la nature de l’objet d’étude, la remise en question d’une relation de proximité et de contemporanéité entre cet objet et l’anthropologue, l’inutilité d’une démarche qui ne mène à aucune découverte de nouveautés et « l’absurdité paradoxale » d’une micro-échelle sont autant de points que Barbara Morovich –archéologue/anthropologue– aborde afin de questionner l’intérêt d’une méthode d’enquête archéologique pour l’anthropologie urbaine.

Face à l’irréversibilité de son action destructrice sur le lieu étudié, l’archéologue effectue tout d’abord un travail d’observation pour le choix du terrain. L’intérêt est ensuite porté, non pas sur l’objet dégagé, mais sur l’identification de strates grâce à une lecture des débris alentours. Il s’agit de reconstituer une stratigraphie par une culture des indices ; laquelle suppose d’accepter les erreurs d’interprétation, les hypothèses, les imprécisions, les incertitudes... Le rapport au terrain d’étude est alors viscéral : la stratigraphie serait « une philologie des objets », une « éventration de l’univers matériel des lieux » [1]. Pour finir, le relevé archéologique est une étape importante qui permet de documenter une strate avant de la détruire, laisser des traces de ces traces.

Cette méthode d’enquête met donc l’accent sur la superposition de strates. Une stratigraphie qui concourt à appréhender l’objet dégagé comme une ruine. Notons qu’il est important de considérer la ruine non pas comme un état figé mais comme un statut en constante évolution qui s’enrichit en permanence de nouvelles strates. Car, hier, cet objet n’était pas une ruine et demain, peut-être, n’en sera-t-il plus une. L’objet ainsi considéré devient révélateur d’un processus vers l’avant que l’on pourrait nommer « enruinnement » et possède alors une valeur heuristique incontestable.

Au moment de la transmission et de la médiatisation des résultats d’une fouille archéologique, la valeur donnée à l’objet est conditionnée par la lecture contemporaine qu’on en fait. C’est pourquoi cet objet peut être perçu comme une trace, un reste, un déchet, un décombre ou encore une ruine selon les époques, les cultures. On comprend, alors, comment le travail, a priori non sélectif, de l’archéologue participe de la reconstruction des histoires des villes, des civilisations... Et, nous pouvons ainsi nous demander si, aujourd’hui, nous devons employer le terme de ruines ou celui de décombres pour qualifier le processus qui concerne nombre d’habitats populaires : les « grands ensembles » qui « s’enruinnent » ?

Dans d’autres cas, le statut de ruine, en tant qu’objet sacralisé, devient aujourd’hui un frein à la construction et plus généralement à l’évolution de la ville. Considérer les ruines selon la valeur heuristique du processus qui les anime permet de les envisager comme porteuses de mémoire vivante et motrices de nouvelles urbanités. La culture des indices propre à l’archéologie nous permettrait ainsi de penser la ville contemporaine sans en stopper le processus d’ « enruinnement » et sans en muséifier le passé.

Lorsqu’un grand projet urbain se concrétise, le modèle selon lequel il a été pensé appartient souvent à une époque révolue. Le croisement des temporalités politiques et celles de la construction ainsi observé peut entrainer un effet de ruine sur un projet neuf. Peut-on envisager dès lors, une archéologie du Grand Paris ou d’autres « grands » projets urbains ? Poser la question du futur antérieur et de l’acte du projet ; établir une grammaire des détails, essayer de déceler aujourd’hui, ce qui deviendra ruine demain.

—  compte-rendu de Véronique Zamant

[1Andrea Carandini, Strorie dalla terra, Einaudi, 2000