Thème lié
Actions

Poblado Maclovio Rojas ou comment la ville se produit-elle ?
En-quête autour d’une frontière et de son architecture

2014-03-12T11:39:08Z

Samedi 31 mars 2007 | Carnet de terrain Mexique/Étas-Unis

Nous sommes au CITTAC (Centre d’Information pour les Travailleurs et les Travailleuses Association Civil) à 9h pour aller à Maclovio Rojas, un vaste squat de plus de 2500 familles qui habitent une superficie de 197 hectares.

Maclovio Rojas symbolise pour beaucoup d’habitants de Tijuana l’histoire de la ville, celle des invasions des terres et des constructions sauvages. Comme le dit Rene Peralta, la ville est faite de nombreux de ces actes illicites d’urbanisme et Maclovio Rojas représente depuis plus de 19 ans l’un de ces actes qu’a déclenché le plus de conflits entre les habitants, le gouvernement et les industries Maquiladoras.

Nous y trouvons là-bas Mago, une ancienne ouvrière des Maquiladoras reconvertie en activiste des droits de ses anciens collègues, Lynn, un ancien professeur universitaire américain aujourd’hui à la retraite et Jorge, un ancien ouvrier, travaillant dans un centre commercial. Nous formons un groupe qui doit traverser la ville pour nous rendre à une réunion de coordination entre diverses associations de Tijuana. Pour y arriver on voyage plus d’une heure, et nous pouvons constater l’entité de nouvelles exploitations immobilières qui polluent du côté est de la ville. La nouvelle Tijuana, tant vantée par les innombrables panneaux, est un immense chantier.

Pourquoi Maclovio Rojas représente-t-il un laboratoire de ce qui se passe à Tijuana ?
Le quartier fut crée en 1988, lorsque des indiens mixtèques travaillant dans les champs de San Quentin dans la Basse Californie, occupèrent des champs improductifs localisés à la périphérie de Tijuana. Le nom de Maclovio Rojas fut repris d’un indien mixtèque assassiné par des conflits politiques. Vite, des familles d’immigrants travaillant dans les Maquiladoras arrivèrent au quartier pour demander des terrains. Les habitants s’organisèrent dans un « Comité de Posesionarios » chargé d’organiser la distribution des lotissements, la gestion des démarches à réaliser afin de régulariser la possession des terrains et d’intercéder dans les conflits internes.

Entre 1988 et 1996, les habitants de Maclovio Rojas ont affronté plusieurs fois les autorités de Tijuana et de l’Etat de la Basse Californie. La première fois, c’était l’année même de la fondation du village lorsque les « héritières » de Cipriano Yorba, l’ancien propriétaire des terrains occupés par les Macloviens, ont déposé une plainte contre eux auprès des autorités fédérales. Les héritières entamèrent un procès judiciaire et le perdirent faute d’accréditation de la propriété. Après avoir gagné le premier procès, les
Macloviens demandèrent aux autorités fédérales (le Tribunal Fédéral Agraire) de leur accorder l‘affectation d’un total de 197 hectares, lesquelles leur furent acquis moyennant un prix de 5 678 pesos (environ 1 893 dollars en 1991). Malgré ce règlement, les terrains sur lesquels le quartier avait été bâti furent donnés en propriété à l’Ejido Francisco Villa. Cela déclencha de nombreux conflits non seulement entre les habitants de Maclovio Rojas et les autorités, mais entre les Macloviens et les habitants de l’Ejido Francisco Villa.

L’expérience du quartier Maclovio Rojas évoque la mémoire historique de Tijuana où des nombreux quartiers ont été crées par des invasions des terrains. En même temps, la capacité d’organisation des habitants du quartier a soulevé l’intérêt des associations de la région et des Etats-Unis. Les dirigeants de Maclovio Rojas appartenaient à une association paysanne de gauche appelée CIOAC (Centrale Indépendante d’Ouvriers Agricoles et Paysans) et depuis la formation du EZLN, ont été au siège des zapatistes dans la Basse Californie.

Le rôle symbolique du quartier auprès des associations civiles à la frontière est grand. De nombreux rencontres entre des groupes civiles ont lieu dans les installations de Maclovio Rojas et les habitants ont réussi à maintenir une unité et une constance dans leurs demandes malgré les attaques continues des autorités municipales.
Au bout de 19 ans d’affrontements entre les habitants et les autorités de la municipalité de Tijuana, les Macloviens ont obtenu la régularisation de leurs terrains. La particularité de Maclovio Rojas est que toute la croissance urbaine a été faite sans aucune planification et sans la moindre participation des autorités de la ville. C’est ainsi que les habitants ont du installer des prises illégales d’électricité et d’eau pour plus de 2500 familles. Pour cette raison, deux dirigeants ont été poursuivis et incarcérés, et l’une d’entre elles est en cavale depuis plus de quatre ans.

Dans une ville si fragmentée comme Tijuana, l’expérience associative et d’autogestion des membres du Maclovio Rojas apparaît comme un exemple de la capacité des habitants à construire des liens de communauté dans un contexte de précarité, de migration, de circulation et de violence. Là où des nombreux quartiers subissent la violence, la fragmentation, la perte du sens de communauté, à Maclovio Rojas, se manifestent des formes de solidarité fortes, renforcées par le harcèlement auquel le gouvernement local les a soumis.
Maclovio Rojas se distingue à maints égards des autres quartiers de Tijuana. D’abord son isolement par rapport à la ville, lui permet de maintenir des liens forts entre les habitants. Ensuite, l’identité que les propres habitants s’octroient est celle des paysans, malgré le fait que le quartier appartient à Tijuana et que presque aucune personne ne vit pas de l’exploitation agricole. L’origine indienne du quartier joue dans cette identification, mais dans l’actualité la grande majorité de la population n’est pas indienne et provient de toutes les régions du pays. La population travaille dans les Maquiladoras qui se localisent dans les régions avoisinantes.
Aujourd’hui, la petite invasion, est l’un des quartiers les plus importants – par sa population – de la ville. Le samedi, un marché aux puces s’installe dans la rue principale. De nombreux marchands de fruits et légumes ; des marchands de nourriture d’hygiène douteuse et des points de vente de composantes d’automobiles prédominent parmi les rues poussiéreuses.
Nous arrivons au « Aguascalientes », le centre du quartier où se trouve le comité des habitants. La maison est peinte avec des « murales » qui racontent l’histoire du peuplement du quartier. Les peintures sont l’œuvre des artistes du « Border Arts Workshop/Taller de Arte Fronterizo », un groupe fondé par Guillermo Gomez-Pena et Michael Schnorr qui ont accompagné la lutte des habitants du quartier depuis la fin des années quatre-vingt-dix. La participation des artistes américains a permis aux membres de Maclovio Rojas d’avoir une grande visibilité dans certains médias américains.
L’Aguascalientes est l’un des espaces symboliques des associations de la frontière. Mago, Jorge et les autres membres des associations se rendent à Maclovio afin de construire une plate-forme des associations, avec une agenda politique en commun. Les gouvernements de droite se sont caractérisés par leur autoritarisme envers les associations civiles. Dans un lieu où la spéculation immobilière et celle des Maquiladoras mettent de la pression sur les terrains urbains. Le fait qu’il y a des efforts, même minimaux pour construire des espaces de protestation, représente une dépense gigantesque d’énergie.
Lors de la réunion où Mago s’efforce à parvenir à des accords et met toute sa patience et sa détermination pour faire avancer ne soit que d’un petit pas, les propositions des différentes organisations, nous nous demandons si ce n’est pas cela qui permet à un espace urbain de devenir ville. Les efforts mis en place par les différents individus que sont en face de nous, nous rappellent qu’au-delà de la situation de la frontière avec ses vagues migratoires, ses dynamiques urbaines chaotiques, sa croissance démesurée et sa spéculation immobilière, ce qui constitue le noyau d’une ville ce sont les rapports que ses habitants arrivent à tisser entre eux. En cela, Maclovio Rojas, malgré sa précarité, représente un exemple hors du commun.

Après la réunion des associations, nous parcourons le quartier accompagnés par Maria, une des membres du Comité de Maclovio. Maria nous raconte la formation du quartier, leurs manifestations dans les rues de Tijuana, leurs demandes de régularisation, mais aussi la capacité des habitants pour bâtir, avec leurs propres ressources, les espaces urbains du quartier.
Maclovio Rojas est divisé en quatre carrés : le Poblado viejo, la zone des rails, la zone de l’autoroute, et la zone des buttes. Maria nous conduit voir les équipements que les habitants ont construit eux-mêmes à force de travail bénévole. Elle nous conduit voir la clinique communautaire tenue par une médecin américaine. Ensuite, nous nous dirigeons voir l’école primaire, la maisons des femmes, le lycée du quartier et les centres communautaires qui se localisent dans chaque carré, formant un espace public où des réunions et des fêtes ont lieu. Conscients du fait que les habitants du quartier proviennent de toutes les régions du Mexique, les membres de l’organisation, cherchent à maintenir les espaces animés avec des célébrations religieuses, des fêtes régionales et des rencontres.

Un autre élément urbain très visible du quartier ce sont les églises qui se comptent par une dizaine, éparpillées dans les quatre carrés. Il y a des différentes dénominations religieuses, mais prédominent les confessions catholiques, pentecostales et évangéliques. C’est une preuve d’ouverture et de pluralité, le fait que les différentes confessions coexistent sans conflits.
Même si la majorité des maisons sont faites avec des déchets des Maquiladoras et des portes de garage, d’autres maisons sont déjà fabriquées en briques et même présentent des ornements dans les façades. Cela est une preuve du degré de consolidation du quartier.
Pourquoi nous voulons attirer l’attention sur ce qui se passe à Maclovio Rojas ? Parce que, malgré le fait que la précarité de leurs équipements urbains, que la formation du quartier, et que son activisme en faveur des mobilisations sociales de la frontière ne sont pas nouveaux et ne se présentent pas comme un modèle face au développement promu par l’industrie immobilière, la propre existence du quartier et sa constance, montrent des failles dans cette auto-célébration de la ville comme une lieu exotique et dans la conception de la ville qui la présenterai comme un pur produit de la spéculation.

Pour lire les autres nouvelles de la frontière