La construction des grands ensembles présente un enjeu double. D’une part, l’objet architectural comme nouvelle forme d’habiter pour un grand nombre et d’autre part l’aménagement territorial comme nouvel outil de maitrise du territoire. Comment se traduit sur un site donné la rencontre de l’échelle du territoire et celle de l’objet architectural ? Ces deux échelles supposent des approches différentes : le territoire est organisé depuis le haut par les représentants politiques et l’objet architectural dessiné depuis le bas par les architectes. Ce rapport introduit une verticalité et par conséquent un rapport de pouvoir.
A partir du dernier chapitre de sa thèse portant sur le paysagement de la cité des 4000 à La Courneuve, Sandra Parvu s’interroge sur la possibilité d’une appréhension horizontale d’un tel site. Quel est l’horizon possible et comment se construit-il ?
Dans les grands ensembles, l’espace entre les barres est parcouru et matérialisé par le vent, le soleil mais aussi marqué par l’ombre. Cette ombre revêt une grande importance dans la composition urbaine ; elle articule, représente, symbolise le rapport entre un bâtiment et son territoire. Bien qu’elle ne soit pas omniprésente, elle continue à marquer un territoire et une façon de l’occuper. La "limite" des ombres se retrouve dans les pratiques des habitants. Elle définit un périmètre qui devient celui des aires de jeux par exemple. Ainsi, l’ombre de la barre Renoir (barre dont le nombre d’habitants équivaut à la définition d‘un quartier) délimite un périmètre au sol qui se traduit dans le comportement des habitants comme la limite de leur quartier. L’objet architectural est dès lors présent par son ombre. A la Courneuve, l’horizon du territoire est donné par les ombres. L’horizon de la barre devient l’horizon de l’ombre. Mais que devient cet horizon après la démolition des barres ?
Suite à cette démolition qui se révèle être un acte fort de verticalité par l’effondrement, un paysage s’est révélé et un autre horizon est réapparu. Avant la démolition, pour avoir cette perception de l’horizon, cette appréhension horizontale, il fallait être du lieu. Les habitants en bénéficiaient quotidiennement depuis leur propre habitat. La démolition devient alors comme une reconquête de l’horizon par les responsables de l’aménagement du territoire en même temps qu’une perte de propriété privée de l’horizon par les habitants.
L’horizon, peut-il être pensé comme le lieu d’une neutralité ?
Le politique voit du haut, l’architecte voit du bas, le paysagiste voit à l’horizontale. Les architectes et paysagistes qui reconstruisent aujourd’hui la Cité des 4000 travaillent à rétablir un horizon bas qui fasse oublier la monumentalité des objets architecturaux. La vision paysagère rend possible une vision horizontale. Mais, l’appréhension d’un paysage se faisant dans une distanciation, que devient-elle pour une personne qui y vit ? C’est dans le détournement par l’usage, que les habitants construisent en permanence leur horizon, des bouts d’horizon. Ils se recréent des micros-horizons qui font écho à leur vécu, à leur histoire. Les habitants réinventent un paysage, souvent difficile à révéler et pourtant important dans la constitution de l’identité d’un lieu.
Cette vision paysagère comme intermédiaire entre l’échelle du foyer et celle du territoire contribue à la constitution de l’identité d’un territoire. Peut-on juxtaposer les horizons du Grand Paris et ainsi proposer une approche paysagère ? Quels en sont les éléments marquants ? Par quoi sont constitués les horizons du Grand Paris ?
— compte-rendu de Véronique Zamant
Sandra Parvu, Relation de l’objet au territoire. Les grands ensembles d’habitation en France (1958-1961), sous la direction de Marie-Vic Ozouf Marignier et de Rémi Baudouï, EHESS et l’Institut d’architecture de l’université de Genève, 2008. Une version remaniée de cette thèse intitulée Grands ensembles en situation. Journal de bord de quatre chantiers sera publiée en mars 2010 chez Metispresses, Genève.