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Entre image et paysage. Les échelles de la représentation
Séminaire Observatoire Grand Paris le 19 novembre 2009

2023-11-30T11:59:42Z

Horaire : 19 novembre 2009
Organisateurs : Piero Zanini

Comment une image met-elle en tension de façon problématique un paysage et sa représentation ? Comment envisager le devenir d’un paysage sans se référer à l’icône qui est censée le représenter ? Est-ce qu’on peut parler d’échelle de la représentation et, si oui, quel rôle joue-t-elle dans la non-acceptation d’un paysage et dans la non-incorporation de ses transformations ?
À partir d’une image d’un petit film réalisé par Pasolini, La forme de la ville, et diffusé lors d’une émission à la télévision italienne dans les années 70, Piero Zanini interroge les échelles de la représentation et les tensions qu’elles créent dans leurs rapports au devenir d’un paysage.

Le film, un court essai polémique en images, commence avec Pasolini qui positionne la caméra face à la ville italienne d’Orte. Le premier cadrage reproduit une image harmonique de la ville en référence à la peinture de paysage hollandais du XVIe siècle. Puis dans un mouvement de zoom arrière il élargit le champ de vision. Un bâtiment moderne, élément étranger et massif clairement distinct de la forme unitaire de la ville, se profile à l’écran et bouleverse le paysage. Ce changement d’échelle du regard, réalisé dans une continuité de mouvement et tout en restant à la même place, fait apparaître une autre image de la ville en complète rupture avec la vue (veduta) emblématique qui se profilait au début. Pasolini questionne cet élément étranger qui brise violemment le profil harmonique de la ville et devient pour lui la métaphore de la fin d’un monde. Que se passe-t-il entre image et paysage lorsqu’on change d’échelle ? En quoi nous concerne l’image que Pasolini n’accepte pas ?

L’échelle est un « opérateur de transformation ». Avec la modernité et son effort d’abstraction, elle s’est manifestée en une forme puissante, la cartographie, qui a réduit progressivement le monde à sa représentation (un objet). Mais l’histoire du mot « échelle » nous rappelle que celui-ci avait également une autre signification, celle de « port, escale » (i.e. Les échelles du Levant était les ports d’Asie Mineure, Les échelles de Barbarie ceux d’Afrique du Nord). Cela pour dire que l’échelle établi d’abord un rapport, une relation, qui permet un passage – un aller et venir - d’une réalité (un monde) à une autre où si, l’on peut et l’on veut, il est possible de poser une échelle pour débarquer [A. Berque, 2000].

L’hypothèse proposé ici par Piero Zanini est que certaines images, qu’il appelle « image-écran », ne fonctionnent plus comme « échelle » capable de nous relier au monde et à son devenir. Celle sur laquelle insiste Pasolini dans La forme des villes en est un exemple parmi d’autres. Elles agissent plutôt en « objectivant » le monde, en le bloquant dans une « forme » (dans un temps) qui nous empêche tout possibilité de projection c’est-à-dire de mettre en avant et de concevoir un futur. C’est notre regard qui n’arrive plus à regarder : comme nous le rappelle aussi G. Didi-Huberman dans son livre La survivance des lucioles, ce ne sont pas les lucioles qui ont disparues mais notre désir de les voir et de les regarder.

La question qui reste tout à explorer est : pourquoi ne reconnaît-on plus de forme dans le changement d’une ville ? et inversement, pourquoi le changement ne créé-t-il plus de forme dans notre regard ? Cette question est d’autant plus importante au moment où Paris cherche à se transformer en Grand Paris. Comment incorporer ce possible changement d’échelle ?

—  compte-rendu d’Anne Claire Vallet

Berque, A., Ecoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 2000.
Didi-Huberman, G., La survivance des lucioles, Paris, Éditions de Minuit, 2009.