Natures des détours
Notre atelier international à Dakar s’inscrit dans la continuité de la réflexion sur l’état et le devenir de quartiers de logements collectifs, initiée à La Courneuve à l’automne 2012 et prolongée notamment lors de l’atelier à New York du printemps 2014. L’objectif principal de ce type d’action est de développer chez les étudiants des facultés d’observation et de compréhension critique de situations urbaines particulières, tirer des enseignements de cette lecture du présent afin d’envisager la production de programmations “hors normes” … tout en construisant leur propre démarche.
Pour l’année 2014-2015, nous proposons de nous projeter tout d’abord non pas depuis un quartier précis de l’Ile-de-France, mais depuis l’œuvre construite, ou pas, d’un architecte belge emblématique d’une façon vraiment différente de faire l’architecture et la ville : Lucien Kroll.
En effet, à l’invitation de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, nous allons travailler avec nos étudiants d’avril à juin sur les projets de Lucien Kroll, non aboutis ou ignorés par la critique de l’époque, en nous concentrant sur la partie centrale de son travail, le “refurbishment” de “grands ensembles” en étroite collaboration avec leurs habitants. Ce travail sur et avec Lucien Kroll constitue ainsi un premier détour et un solide repère duquel nous projetterons nos interrogations vers un autre détour, celui de la capitale du Sénégal, Dakar et la situation de ses quartiers centraux abritant des ensembles HLM.
Il est particulièrement significatif pour nous de développer notre pédagogie entre le parcours et les productions de Lucien Kroll et les enseignements que nous tirerons de notre détour Dakarois, puisque Lucien Kroll souligne à plusieurs reprises dans ses écrits l’importance de ses expériences rwandaises des années 60.
Ndakaaru
Dès les années 50 et, encore plus, au moment de l’indépendance de 1960, la question de l’habitat au Sénégal, et tout particulièrement à Dakar, s’imposait avec la même acuité que dans la France de l’après-guerre. Le Sénégal devenait l’un des pays les plus urbanisés de la sous-région et la production de logements sociaux s’intensifiait sans pour autant parvenir à couvrir tous les besoins des nouveaux arrivants. Cette production s’adressait spécifiquement à la nouvelle classe moyenne, issue d’une politique graduelle d’« africanisation » des cadres, logée en ville au plus près des administrations du jeune état. Des logements d’un standing “à moindre coût”, similaires dans leur forme à ceux proposés aux expatriés Européens, lui était proposés à proximité des lieux de travail. La SICAP (Société Immobilière du Cap-Vert) et l’OHLM (Office des habitations à loyer modéré) se chargèrent d’assurer la “transition” entre l’habitat traditionnel et l’habitat planifié dense, dit de type « occidental », rarement associé dans le contexte dakarois à des constructions plus hautes de type « grand ensemble ». Lors de l’atelier, nous étudierons notamment les quartiers HLM de Fass, de Gueule Tapée, SICAP Jet d’eau… quartiers ayant tous été créés à partir d’une programmation et d’une production planifiées de l’habitat, mais dont la morphologie et l’organisation contemporaines n’ont plus grand chose à voir avec le modèle d’origine. Les premiers temps de notre terrain nous permettront d’opérer des choix de cas d’étude spécifiques au regard des thèmes que nous avons déjà abordés les années précédentes : la règle et la transgression, le centre et la marge, la rénovation urbaine, le jeu des acteurs, le rôle des associations, la relation au foncier et les formes de groupement de l’habitat … Ainsi, la comparaison entre un habitat imposé puis transformé par ses habitants, et celui considéré comme “traditionnel” lébou devrait permettre aux étudiants de tirer des enseignements sur la façon dont se réinvente la ville ici et maintenant, et devra se réinventer demain, à Dakar, comme dans le Grand Paris.