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Salam alikoum
Carnet de terrain à Dakar

2015-07-03T06:06:23Z

21 avril 2015 | Carnet de terrain à Dakar

« Salam alikoum » ! Nous prononçons cette phrase de salutation quand nous croisons quelqu’un dans la rue, ou dès que nous avons l’impression de rentrer chez quelqu’un où nous ressentons la nécessité de devoir témoigner de notre présence décalée. Le « Wa alikoum salam » que nous recevons en réponse établit une relation d’accueil. Le périmètre de nos explorations se dessine au rythme de ces deux expressions ; le fait de les prononcer nous garantit un droit de passage, mais aussi provoque l’étonnement, suscite la curiosité. Nous sortons de nos représentations réciproques, de nos positions spéculaires, du jeu d’images croisées qui, souvent, nous séparent plus qu’elles ne nous rapprochent.

« Salam alikoum », comme un mot de passe…sans forcement être sur le seuil d’une maison, sur la limite d’un espace qui correspondrait, dans notre quotidien, à l’extrémité extérieure d’une sphère intime, réglée par un registre de relations et un régime de rôles différents de ce qui se passe à l’extérieur. Il ne s’agit pas nécessairement d’une formule qui marque le passage entre un espace ouvert et un espace couvert, fermé…« Wa alikoum salam », la parole et l’espace qui marchent ensemble, qui nous disent des choses, qui nous montrent le pouvoir performatif des mots, et leur pouvoir de créer l’architecture d’une rencontre.

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Beaucoup d’espaces extérieurs, en particulier dans les quartiers populaires, sont investis par les pratiques individuelles et collectives les plus diverses, par des activités qui, ailleurs, se dérouleraient dans un espace privatif. Cette occupation suggère à l’étranger d’effectuer un effort pour aller vers l’habitant, se présenter afin d’être identifié, reconnu par tout un chacun. En effet, le dévoilement de son statut et de ses intentions – savoir pourquoi il est là – lui octroie désormais le droit de rester autant qu’il voudra, et impose à la communauté de l’accueillir au mieux de ses possibilités. Le fait de multiplier les salutations permet de multiplier également les situations d’échange, de saisir les mécanismes du partage, de la mise en commun des nouvelles concernant la famille, la santé, les affaires… Les formules codifiées, des questions des réponses, interrogent l’espace du lien entre individus. Une présence plus longue sur place permettra à l’étranger de saisir toutes les variations de ce rituel des salutations, de comprendre que dans ces instants prolongés de prise de nouvelles se joue la codification de la vie en société qui règle les relations entre individus liées à l’âge, au genre, à la position sociale ou à l’ethnie.

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La fréquentation répétée d’une famille serer ne permettra pas à l’étranger de changer la couleur de sa peau, ni d’effacer son statut de toubab, mais il apprendra à comprendre et accepter qu’un toucouleur le traite d’« esclave », et il pourra désormais toujours faire confiance à un diola, car il est son cousin.