A côté de Estrada Courts (cf. mon entrée du 14 juillet) se trouve un ensemble de logements à peu près identique, Wyvernwood Garden Apartments. Estrada et Wyvernwood ont le même nombre de logements. Ils ont été construits au même moment avec un type de bâtiment et un plan de masse similaires. La seule chose qui les sépare est leur mode de financement et de gestion. Estrada a été financé par l’Etat et géré par un organe local public. Wyvernwood a été construit avec des fonds privés et il est aujourd’hui encore géré par une compagnie privée. Ricardo, fondateur d’une association qui défend le droit des résidents de Boyle Heights, me raconte que lorsqu’il veut illustrer les dangers de la privatisation du logement (qui est en cours depuis les années 70 aux Etats-Unis), il fait visiter ce site. Il me dit :
"Tu vois comme l’herbe est sèche du côté privé ? Et comme elle est verte côté public ?"
"C’est parce qu’ils ont des jardiniers pour l’entretenir ?"
"Oui. C’est pour ça que je te dis que les subventions fédérales jouent pour beaucoup dans les entreprises privées. Au début, le Gouvernement donne de l’argent pour que ça ait l’air de marcher, et puis après tout tombe en ruine, parce que si les résidents n’ont pas d’argent pour payer les charges, la compagnie n’entretient plus. Là est tout le problème : loger les pauvres, je ne sais pas comment ça peut être viable aux taux du marché."
A 5km au nord, Pueblo del Sol. En son centre, une pelouse. Ricardo me dit : "C’est intéressant la façon dont ils ont construit l’espace autour de la pelouse. C’est comme si c’était pour la rendre inutilisable." Je lui fais remarquer le mauvais état de l’herbe. Il répond : "Il y a un parc à Maywood [autre ville du County de Los Angeles dans laquelle il travaille], c’est un peu le même design et la surface de l’herbe est complètement gâchée, elle devient sèche très vite et on n’arrête pas de dire que c’est à cause du système d’arrosage, c’est peut-être la même chose ici... Enfin, on voit des gens, mais quand je compare avec ce que c’était, la pelouse était plus grande et le nombre de gens dessus énorme."
Quelques jours plus tard, je passe au même endroit avec Tony, le project manager de Pueblo del Sol. Il excuse le mauvais état de la pelouse : "De toute évidence l’herbe n’est pas inégale parce qu’on n’en prend pas soin, mais parce qu’elle est beaucoup utilisée."
Ce n’est pas tant l’attention qu’on accorde au gazon qui est ici intéressante, mais la divergence d’opinion sur l’idéal qu’il devrait atteindre. La pelouse est un symptôme révélateur de l’état de santé du quartier et de façon générale plus elle est verte, meilleure est la valeur des maisons et des logements qui s’y trouvent. Mais, dans les ensembles où l’Etat cède ses terrains pour laisser une compagnie privée reconstruire des logements collectifs, cet état ne semble jamais tout à fait satisfaisant. Si l’herbe est trop belle, la vie de la communauté n’est pas assez active. Si elle est imparfaite, l’entretien n’est pas bon. L’impossibilité de trouver son état acceptable, serait-elle à l’image de la difficile réconciliation des intérêts du logement subventionné avec ceux de l’investissement privé ?