Cet axe prend ses sources dans les réflexions de notre équipe tant autour du rapport entre identités et territoires dans les mondes contemporains qu’autour de la volonté de construire les cultures spatiales, afin de repérer, aujourd’hui, les conditions d’émergence et de transmission gouvernant, actuellement, la dynamique de leurs transformations (ou de leur persistance).
Aujourd’hui, face à une accélération de la fabrication et de la communication des idées, l’image d’un monde où nous serions tous entrains de désirer, consommer et construire les mêmes objets (architecturaux ou urbains), annoncée et soutenue par les partisans de la mondialisation, nous paraît très éloignée de la réalité.
Nous nous trouvons aujourd’hui face à une situation architecturale schizophrénique : sur le même territoire (disciplinaire et spatial) se trouve, d’un côté, une production architecturale et urbaine, constituant, en fait, un pourcentage infiniment petit du volume des constructions réellement édifiées dans le monde, mais qui revendique, de manière très médiatique, le discours de la ville globale, où le contexte ne serait plus le local mais l’absolument planétaire (Augé, 2006) : un gratte-ciel, un shopping-center , une entrée de ville à Londres, Paris, Berlin, Barcelone, Shanghai ou Rio de Janeiro ne devraient plus comporter de différences. De l’autre côté, mais davantage dans la pratique que dans les doctrines architecturales, toujours à Londres, Paris, Berlin, Barcelone, Shanghai ou Rio de Janeiro on voit monter en puissance des architectures et des formes urbaines qui, de plus en plus, mettent en scène et revendiquent un contexte local d’une manière spectaculaire.
Une série des questions alors nous hantent :
Quels sont les paradigmes urbains et architecturaux aujourd’hui dans un monde dit global ? Quelles valeurs symboliques transmettent aujourd’hui la ville et l’architecture ? Se veulent-elles encore porteuses de sens et d’identité ? À quel type de temporalité correspondent leurs futurs , leurs passés ou leur inéluctable présent ?
Malheureusement, si d’un côté une littérature pléthorique nous informe sur le débat, économique, sociologique, géographique et anthropologique, qui accompagne la mondialisation en tant que « fait social total », de l’autre côté nous ne disposons, sur ce même débat, dans la sphère urbaine et architecturale , que de repères quelque peu hétéroclites.
Un certain nombre de chercheurs en Sciences Humaines et Sociales parlent indiscutablement des villes globales mais en traçant invariablement le portrait d’un nouveau type de métropole, centre de commandement du capitalisme planétaire, né du double mouvement paradoxal de « dispersion » des activités manufacturières à travers le globe et de « centralisation » des fonctions de coordination, de prévision et de gestion « mondialisées ». D’autres évoquent aussi, du côté des anthropologues (Cultural Studies), de la naissance du village planétaire ou d’une communauté imaginaire issue de nouveaux flux migratoires et de cultures hybrides . Certes, mais quelle forme revêtiront ces villes et ces architectures dites globales ? Est-il aujourd’hui totalement obsolète de se soucier de formes urbaines et architecturales ? Doit-on inéluctablement se rendre sourd aux récits symboliques et contextuels pour épouser une « démagogie » qui ne parle que par images des « immeubles Y€$ » (Yen €uros Dollar) de la « ville générique » ou de la « ville de flux » ?
Il existe aujourd’hui cependant, en anthropologie, en histoire, en géographie, une autre position, inaugurée par les travaux de Fernand Braudel (Braudel, 1967) autour de la formation historique de « systèmes mondiaux », à partir de laquelle la mondialisation n’apparaît absolument pas comme un phénomène nouveau. L’histoire de l’humanité peut être lu à travers des cycles d’ouverture ou de clôture qui correspondraient à des périodes caractérisées soit par des phénomènes qu’aujourd’hui on appelle mondialisés soit par des phénomènes de rétrécissement identitaire et territorial, désignés par le terme de nationalismes. Malheureusement aujourd’hui, cette approche n’est ni interpellée ni analysée spatialement sauf des rares exceptions.
Nous nous proposons sous cet axe d’explorer anthropologiquement la ville contemporaine (dans sa forme urbaine et architecturale), dite globale, du point de vue d’une mondialisation conçue comme l’un des moments d’un cycle, inséré sur une temporalité longue, et non comme un phénomène d’une radicale nouveauté.
« Au temps rapide de l’événement, au souffle court et dramatique de la bataille, il faut substituer le temps long des rythmes de la vie matérielle » (Braudel, 1985)
Notre position n’est point passéiste, elle ne défend ni la « ville historique », ni une architecture en particulier. Nous désirons simplement nous situer dans ce débat en tant qu’acteurs déterminés à saisir les dimensions rendant possible un agir véritable, et non en tant que spectateurs passifs, brossant les fresques d’un avenir présenté comme seul désirable, « puisque » inéluctable, et irréversible.
Nous tentons, au contraire, d’adopter une autre posture face à la ville contemporaine.
Aujourd’hui, de notre point de vue, rares sont les prises de position, dans le champs architectural et urbain, tentant de réfuter cette idéologie mondialiste. On traite très et trop rarement, car moins savant et médiatique, et inséré d’emblée dans une temporalité longue, de l’ « envers » de la mondialisation, focalisé davantage sur le local, villes ou architectures contemporaines hyper localisées. Sont à l’œuvre aujourd’hui, disneylandisation (ou une « améliepoulainisation » pour le cas parisien) du monde, spectacularisation des villes et utilisation toujours plus accentuée de cultures locales à des fins tant identitaires qu’économiques. Des architectures, dans le domaine du privé (du pavillon en banlieue aux gated communities, du shopping center aux chaînes d’hôtels), sont en train de peupler en tache d’huile la planète. Des architectures référées à des lieux précis, des architectures situées, construisant de multiples visages, alternatifs au masque vide, sinon totalitaire, de la ville dite globale.
Coordination : Alessia de Biase