Dans le LA Times d’aujourd’hui, un article intitulé "Inglewood : It’s where I live, but do I belong ?" L’auteur, rédactrice contribuant régulièrement à l’éditorial du journal, revient sur la relation intime entre géographie et communautés ethniques à Los Angeles. Elle est afro-américaine et vit dans un quartier noir au sud de la ville, Inglewood, voisin de South Central (partie de la ville médiatisée entre autres suite aux affrontements violents entre les habitants et la police durant les Watts Riots de 1965 et Rodney King Uprising en 1992). L’auteur décrit son sentiment ambivalent concernant le quartier dans lequel elle habite : bien qu’elle rejette la stigmatisation d’Inglewood et son image de "quartier noir à problèmes", elle convient qu’il y a dans cette image négative une part de vérité. Elle a grandi dans le quartier. Elle y a acheté après son mariage une maison. Plutôt que de louer dans un quartier noir plus chic, elle a préféré acquérir une maison. Lorsqu’on lui demande où elle habite au cours d’une soirée ou d’une fête, elle raconte que sa réponse est invariablement accueillie par une gêne ou un silence désapprobateur. L’image cosmopolite qu’elle donne d’elle-même, celle d’une personne intégrée dans des réseaux bien connectés est démontée par le lieu dans lequel elle a choisi d’habiter. Elle avoue ressentir une certaine satisfaction dans la perplexité de ses interlocuteurs et dans sa capacité à remettre en question l’image qu’ils ont du lieu.
Mais, lorsqu’elle rentre chez elle, elle se demande si elle y appartient vraiment, si les résidents de la classe moyenne qui s’y sont installés, ne constituent pas une masse trop peu importante pour véritablement changer la situation du quartier et même si la présence de ces habitants ne joue pas en sa défaveur. Elle cite le manque d’activité commerciale, l’état déplorable des écoles publiques et les statistiques suivantes, connues des habitants et citées par la presse nationale : depuis 2003, la police de Los Angeles a tué par balles cinq personnes non armées. L’absence de révoltes, auxquelles on peut s’attendre dans des quartiers à population plus homogène et plus pauvre, et le silence qui entoure ces bavures policières, soulignent la crise identitaire du quartier divisée entre couche pauvre et classe moyenne noire. Cette dernière préfère faire confiance aux policiers afin de ne pas s’identifier aux résidents plus pauvres qui répliquent à ces événements par des plaintes parfois violentes. La ségrégation ethnique sur laquelle l’aménagement de la ville est fondé, l’histoire politique et économique de la population afro-américaine, ainsi que son ambition d’obtenir une amélioration de ses conditions de vie tout en restant proche de ses racines, produit des contresens qui desservent toute la communauté. Le racisme et le climat tendu entre police et population, persistent. En même temps, par un effet d’identification perverse, les abus ne sont plus dénoncés par l’expression d’un mécontentement résultant d’une solidarité communautaire.